Comme la littérature tend aujourd’hui à prendre pour objet le langage, l’art tend de même à choisir l’art pour objet. Les deux systèmes se dédoublent, n’admettant plus les choses extérieures que subrepticement et par infirmité de naissance. Mais cette mutation ne s’accomplit pas sans avatars, tel dans le cas des arts visuels, leur envahissement par le discours : la préface y est devenue une institution, en passe d’ailleurs d’être remplacée par l’auto-préface, le commentaire (littéraire) par l’artiste de sa propre démarche.
Cette explication systématique et bavarde — hors le cas trop simple où elle masque l’impuissance — est en définitive une exorcisation. Tantôt l’œuvre plastique est apprivoisée par le langage, réduite au dénominateur commun des formes passées. Tantôt, dans ce va-et-vient entre le langage et l’image, l’exorcisme la change en une forme d’art nouvelle (et importante), simple, facile, discontinue et sensationnelle, offerte aux communications de masse et conditionnée par elles.
Il n’est donc pas surprenant qu’une œuvre construite sans les béquilles de la littérature, à l’abri de la publicité, dans un silence attentif au murmure de l’Histoire, se caractérise par sa complexité, son opacité, sa continuité. Il est normal aussi que ce système porte son propre message, soit auto-suffisant.
Cette préface n’est donc pas une explication, mais un avertissement. Signalpour le spectateur de l’effort de déchiffrement qui l’attend. Signal qui l’avertit, en outre, du propos éthique de cette exposition.
En quinze ans anonymes de patience et de jeu — quinze ans au cours desquels il est lentement devenu un des artistes considérables de notre temps, quinze ans pendant lesquels ses créations lui étaient enlevées à mesure de leur construction, si bien qu’il est aujourd’hui illustre et obscur — pendant ces quinze ans Guinon’a jamais exposé : tactique consciente, davantage encore stratégie de l’inconscient.
Et si aujourd’hui il rompt le silence avec modestie d’ailleurs, dans une exposition qui est une simple évocation comme la métaphore d’un parcours, c’est pour faire le point. Pour se prouver que sa fuite ne fut pas lâcheté mais courage nécessaire, seul moyen de devenir soi-même ; pour affirmer, dans son étrangeté légitime, le jeu, qu’entre ses mains, la sculpture joue avec la sculpture.
Françoise Choay, 1966
Préface du catalogue de l’exposition Michel Guino à la Galerie Goerges Bongers.